Déterminants anthropiques versus forçages climatiques au cours des derniers millénaires : impacts sur les écosystèmes et les processus biogéochimiques

P. Deschamps, B. Ngounou Ngatcha

Enjeux

Les modifications profondes (climatiques, AT1 ; de végétation, AT2 ; de cycles bio-géochimiques, AT3) qui affectent l’AC depuis la période instrumentale en relation avec le changement climatique global et une augmentation de la pression démographique et des impacts anthropiques s’inscrivent dans une variabilité à plus long terme de ces phénomènes. Le bloc forestier d’Afrique Centrale et de l’Ouest a ainsi connu plusieurs crises au cours de l’Holocène (c’est-à-dire les derniers ~11 500 ans) marquées par des phases d’expansion et de contraction. Ces transitions écologiques / environnementales ont le plus souvent été attribuées à des oscillations climatiques (Hoelzmann et al., 1998; Jolly et al., 1998; Maley and Brenac, 1998; Shanahan et al., 2015).

La dernière crise forestière qui a profondément marqué le cœur du bloc forestier est intervenue il y a environ 3 000 ans. Plusieurs enregistrements, en particulier polliniques, dont celui du lac Barombi Mbo situé au sud-ouest du Cameroun, montrent une fragmentation de la forêt tropicale humide mature et son remplacement par de la savane et une forêt secondaire (Maley and Brenac, 1998; Maley et al., 2017; Ngomanda et al., 2009; Vincens et al., 1999). A l’échelle régionale, cette crise est accompagnée par l’apparition d’espèces pionnières et de taxons liés aux activités humaines : le millet (Pennisetum glaucum), l’aïélé (Canarium Schweinfuthii) et peut être aussi bien le palmier à huile (Elaeis guineensis) (Neumann et al., 2012). Ces changements apparaissent lors d’une période encore mal connue entre le Néolithique et l’âge du Fer Ancien en Afrique Centrale. De nombreuses études archéologiques et linguistiques (Bostoen et al., 2015; Grollemund et al., 2015; Oslisly et al., 2013a) ou génomiques (Patin et al., 2017), suggèrent que la fragmentation du bloc forestier aurait permis l’arrivée de populations d’agriculteurs bantous, rapidement devenus des métallurgistes qui se seraient propagées depuis le sud-ouest Cameroun (région des Grassfields) jusqu’à l’ensemble de l’Afrique de l’Est et du Sud à partir de 4000 ans BP.

Un consensus s’est largement développé pour attribuer l’origine de cette crise forestière à une modification du régime de mousson marquée par une baisse des précipitations et une plus forte saisonnalité (Bostoen et al., 2015; Maley and Brenac, 1998; Maley et al., 2017; Neumann et al., 2012; Ngomanda et al., 2009; Oslisly et al., 2013a; Vincens et al., 1999). S’appuyant sur les données polliniques de la séquence lacustre du Barombi Mbo, Lebamba et al. (2009) estiment une diminution des précipitations annuelles de l’ordre de 50% durant la crise. Reprenant une hypothèse ancienne (Richards, 1986), Bayon et al. (2012) ont récemment remis en cause cette vision largement partagée en proposant que la crise forestière ne serait non pas d’origine climatique mais anthropique et liée à la migration de populations d’agriculteurs bantous au sein du bloc forestier. En s’appuyant sur une séquence marine prélevée près de l’embouchure du fleuve Congo, ces auteurs montrent un changement profond des processus érosifs et d’altération chimique sur l’ensemble du bassin du Congo, concomitant avec l’expansion bantoue dans la région. L’utilisation de nouvelles pratiques agriculturales associées avec le développement de la métallurgie du fer aurait entrainé une déforestation importante du massif forestier. Bien que cette interprétation reste largement controversée tant par la communauté des paléoclimatologues (Maley et al., 2012) que celles des archéologues (Neumann et al., 2012), cette étude documente l’impact des changements climatiques et des activités anthropiques sur la dynamique érosive ainsi que la réponse de la zone critique à ces forçages externes.

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